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Les plus vieilles galaxies jamais confirmées

Les plus vieilles galaxies jamais confirmées

13.12.2022, par
Image prise par l'instrument NIRCam du JWST, qui met en évidence la région étudiée par la collaboration JADES dans et autour du champ ultra profond du télescope spatial Hubble.
Des scientifiques viennent d’annoncer la confirmation de l'observation par le télescope spatial James Webb des plus anciennes galaxies jamais détectées. Les explications de Stéphane Charlot, chercheur à l’Institut d’astrophysique de Paris et coauteur de cette découverte.

À quand remontent les quatre galaxies décrites dans vos travaux prépubliés en ligne1 et révélés vendredi dernier par la Nasa et l'ESA ?
Stéphane Charlot2 : Baptisée JADES-GS-z13-0 et éloignée de plus de 33 milliards d’années-lumière (1 année-lumière = 9,461 x 1012 km, Ndlr), la plus ancienne de ces galaxies primitives date d’à peine plus de 300 millions d’années après le Big Bang, alors que l’Univers n’avait que 2 % de son âge actuel. Les trois autres (JADES-GS-z12-0, -z11-0 et -z10-0), s’échelonnent sur une centaine de millions d’années plus tard. À titre de comparaison, la galaxie la plus ancienne connue jusque-là, GN-z11 repérée par le télescope spatial Hubble en 2016, remontait à un peu plus de 400 millions d’années après le Big Bang. Nos travaux définissent donc une nouvelle frontière dans l’étude de la formation des galaxies !
 
Pourquoi est-il important de trouver les plus anciennes galaxies ?
S. C. Pour comprendre une période très reculée de l’histoire de l’Univers primitif : l’« aube cosmique », où le cosmos est sorti de l’obscurité, éclairé par la lueur des premières étoiles. À ce jour, nous savons qu’après le Big Bang, survenu il y a environ 13,7 milliards d’années, l’Univers en expansion se serait refroidi et aurait connu une longue phase d’obscurité. Puis environ 100 millions d’années plus tard, sous l’effet de la gravitation, la matière se serait condensée par endroits et aurait formé les premières étoiles, à l’origine elles-mêmes des premières galaxies. Mais dans quelles conditions physiques exactement se sont formées ces premières étoiles ? Comment se sont-elles assemblées en galaxies ? Quand et pendant combien de temps leur intense rayonnement a-t-il ionisé les atomes du cosmos, enclenchant la « réionisation », cette autre période importante de l’Univers primitif ? Observer les tout premiers objets qui ont illuminé l’Univers – le Graal de la cosmologie – aiderait à résoudre ces énigmes. Et ainsi, à retracer l’histoire des premiers instants de l’Univers et donc, l’origine de notre monde.

Le JWST Advanced Deep Extragalactic Survey (JADES) s’est concentré sur la zone à l’intérieur et autour du champ ultra-profond du télescope spatial Hubble, fournissant une mesure précise du décalage vers le rouge (z) de chaque galaxie.
Le JWST Advanced Deep Extragalactic Survey (JADES) s’est concentré sur la zone à l’intérieur et autour du champ ultra-profond du télescope spatial Hubble, fournissant une mesure précise du décalage vers le rouge (z) de chaque galaxie.

Comment avez-vous découvert les quatre galaxies susmentionnées ?
S. C. Grâce à l’exploitation des premières images prises par le télescope américain spatial James Webb à partir de juillet 2022. Développé par l’agence spatiale américaine, la Nasa, en partenariat avec les Agences spatiales européenne (ESA) et canadienne (CSA), et lancé en décembre 2021 par une fusée Ariane depuis Kourou (Guyane française), cet engin a été spécialement conçu pour détecter la lumière des toutes premières étoiles du cosmos. Précisons ici que la lumière qui nous parvient d’un astre très éloigné nous renvoie l’image qu’il avait quand il a émis cette lumière, celle-ci mettant parfois des milliards d’années à nous arriver. Du fait de l’expansion de l’Univers, cette lumière est étirée dans les longueurs d’onde plus longues et donc plus rouges du spectre lumineux ; on parle de « décalage vers le rouge ». Aussi, la lumière des toutes premières étoiles et galaxies est très décalée vers le rouge. Résultat, pour la détecter, il faut un télescope capable de voir dans l’infrarouge… C’est justement le cas de James Webb, qui contrairement à son prédécesseur, le télescope spatial Hubble (qui se concentrait sur la lumière visible), est spécialisé dans les observations infrarouges.
 
Mais James Webb avait déjà dévoilé des galaxies aussi anciennes que celles que vous décrivez, non ?
S. C. Pas tout à fait... Il est vrai que dès l’été 2022, plusieurs équipes, dont nous-mêmes à l’Institut d’astrophysique de Paris3, ont rapporté avoir analysé les premières images de James Webb et y avoir détecté des galaxies très anciennes, dont certaines semblaient remonter à presque 250 millions d’années après le Big Bang. Mais, point très important, il s’agissait là seulement de « candidats galaxies potentiellement anciennes » et donc d’hypothèses. Leur ancienneté par rapport au Big Bang restait à confirmer via des mesures directes de leurs décalages vers le rouge. C’est désormais chose faite grâce à la collaboration Jades4 !

Vue d'une partie du Grand Nuage de Magellan, une galaxie satellite de la Voie lactée, à travers le spectrographe NIRSpec et la caméra NIRCam du télescope James Webb.
Vue d'une partie du Grand Nuage de Magellan, une galaxie satellite de la Voie lactée, à travers le spectrographe NIRSpec et la caméra NIRCam du télescope James Webb.

Qu’est-ce que cette collaboration Jades ?
S. C. Un consortium constitué à ce jour de plus de quatre-vingts astronomes de dix pays (dont je suis le seul Français), qui ont commencé à se réunir à partir de 2015 pour proposer un programme ambitieux du même nom. Celui-ci vise à fournir une vue de l’Univers primitif sans précédent en termes de profondeur et de détails. Pour ce faire, il s’est vu allouer un peu plus d’un mois du temps d’observation du télescope réparti sur deux ans. Après, les scientifiques de Jades sont aussi ceux qui ont dirigé le développement de deux des quatre puissants instruments à bord du James Webb.
 
Quels sont ces deux outils ?
S. C. La caméra dans le proche infrarouge NIRCam (de l’anglais « Near-Infrared Camera »), construite par l’université d’Arizona et l’entreprise américaine de défense et de sécurité Lockheed Martin, et capable de capter la chaleur émise par un bourdon à une distance de près de 400 000 km. Et le spectrographe dans le proche infrarouge NIRSpec (pour « Near-Infrared Spectrograph »), fabriqué par l’ESA et Airbus, et capable de recueillir simultanément les spectres lumineux d’environ 250 galaxies. C’est grâce à ces deux outils que nous avons pu confirmer l’ancienneté des quatre galaxies dont il est question ici.
 
Concrètement, comment avez-vous procédé ?
S. C. À l’aide de la NIRCam, nous avons observé pendant dix jours, dans neuf gammes de longueurs d’onde infrarouges différentes, une petite parcelle du ciel à l’intérieur et autour d’une zone dite « champ ultra-profond de Hubble », située dans la région de la constellation du Fourneau et immortalisée en 2003 et 2004 par le télescope Hubble. Bien que cette région soit très petite (de la taille d’un humain vu à 1,6 km de distance, selon la Nasa, Ndlr), les données de la NIRCam ont permis d’y déceler près de 100 000 galaxies. Parmi celles-ci, nous avons ensuite sélectionné celles peu lumineuses aux plus grandes longueurs d’onde infrarouges et totalement invisibles en dessous d’une longueur d’onde critique ; un trait distinctif des galaxies de l’Univers primitif. Puis nous avons utilisé l’instrument NIRSpec pour mesurer précisément le décalage vers le rouge de chaque galaxie. C’est là que nous avons constaté que certaines des galaxies étudiées remontaient à moins de 400 millions d’années après le Big Bang.

Le spectrographe NIRSpec du JWST est l'instrument européen à l'origine de cette confirmation.
Le spectrographe NIRSpec du JWST est l'instrument européen à l'origine de cette confirmation.

Vos données ont également permis de décrire – un peu – ces galaxies...
S. C. Oui. Les mesures de la caméra NIRCam indiquent que ces structures cosmiques sont compactes, de l’ordre du pourcent de la taille de notre galaxie, la Voie lactée, et brillantes. L’utilisation d’une modélisation a permis de conclure qu’elles contiennent déjà chacune près d’une centaine de millions de masses solaires d’étoiles. Quant aux mesures du NIRSpec, elles suggèrent que ces galaxies sont environ cent fois moins enrichies en métaux (éléments plus lourds que l’hélium, forgés par les étoiles) que la Voie lactée ; un autre signe qu’elles n’en sont qu’au tout début de leur évolution. 
 
Qu’indiquent ces données sur les débuts de l’Univers ?
S. C. Dans l’ensemble, elles suggèrent que les premières générations de galaxies se sont formées plus rapidement que nous aurions pu le penser !

Cliché du champ ultra-profond de Hubble observé entre le 24 Septembre 2003 et le 16 Janvier 2004.
Cliché du champ ultra-profond de Hubble observé entre le 24 Septembre 2003 et le 16 Janvier 2004.

Quid de vos prochaines campagnes d’observation ?
S. C. Notre programme Jades se poursuivra en 2023 avec la recherche de potentielles autres galaxies anciennes dans une autre région du ciel : l’emblématique champ profond de Hubble, photographié en 1995 et situé dans la région de la constellation de la Grande Ourse. Puis fin 2023, quand la région de la voûte céleste sur laquelle ont porté nos récents travaux sera à nouveau visible dans le ciel, nous la réobserverons. De fait, les observations de NIRCam indiquent la présence de galaxies potentiellement encore plus anciennes que celles maintenant confirmées. Mais cela nécessite confirmation par des mesures spectroscopiques.
 
Quel est votre espoir pour l’avenir ?
S. C. J’espère que nous pourrons remonter le plus loin possible dans l’histoire des premiers instants de l’Univers ; sachant qu’en théorie, James Webb devrait pouvoir observer des objets apparus dès 100 millions d’années après le Big Bang. Si nous réussissons ce défi, peut-être ferons-nous des découvertes qui remettront à jamais en cause ce que nous croyons savoir à ce jour, de la formation des étoiles et des galaxies lors des premiers instants du cosmos. ♦

Notes
Aller plus loin

Auteur

Kheira Bettayeb

Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.

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