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Les coureurs de l’extrême

Les coureurs de l’extrême

28.10.2014, par
Diagonale des fous à la Réunion
Le Français Pascal Blanc et l’Espagnol Kilian Jornet lors de l’édition 2013 de la Diagonale des fous, une grande épreuve d’ultra-trail qui se déroule sur l’île de La Réunion.
Ce week-end, l’île de la Réunion a été le théâtre de la Diagonale des fous, une course très difficile de 172 kilomètres. Des chercheurs étudient les réactions du corps dans ces épreuves extrêmes et espèrent en tirer des enseignements pour certaines maladies. Entretien avec Pierre Croisille, l’auteur de cette étude inédite.

Le week-end dernier, l'île de la Réunion a accueilli la Diagonale des fous, une grande épreuve d'ultra-trail. Mais qu’est-ce au juste que cette discipline ?
Pierre Croisille1 : Un sport en plein essor consistant en des épreuves de course à pied tout terrain sur de très grandes distances, supérieures à… 100 kilomètres, sans arrêt obligatoire ! Ainsi, la Diagonale des fous, qui traverse l’île de la Réunion, comprend pas moins de 172 kilomètres (effectués en un peu plus de 24 heures par le gagnant François D’Haene, NDLR), soit quatre marathons d’affilée, et quasiment 10 000 mètres de dénivelé positif, donc un peu plus que la hauteur de l’Everest ! Il existe bien d’autres courses de ce type, de longueur variable avec plus ou moins de dénivelé. Mais une les dépasse toutes : le Tor des géants.
 
Qu’est-ce que cette course a d’exceptionnel ?
P. C. : C’est l’ultra-trail de montagne le plus extrême du monde. Surnommée  « la course de tous les superlatifs », cette épreuve hors norme sur le versant italien du Mont-Blanc, dans la vallée d’Aoste, s’étend, tenez-vous bien, sur 330 kilomètres, donc huit marathons, et comprend 24 000 mètres de dénivelé positif, soit trois fois l’Everest ! C’est lors de cet événement unique, qui a eu lieu du 7 au 14 septembre 2014, que nous avons mené notre étude dénommée Must.
 
Pouvez-vous nous en dire plus sur ces travaux ?
P. C. : Il s’agit d’une étude sans précédent, où, pour la première fois, des scientifiques sont allés directement sur le Tor des géants étudier ses athlètes « dans le feu de l’action ». Mené par une équipe internationale de chercheurs avec une expertise en imagerie, en physiologie de l’effort, en biologie et en anesthésie-réanimation, coordonnée par le laboratoire Creatis, ce projet vise à explorer les effets de l’ultra-endurance sur l’organisme.
 
Que sait-on à ce jour sur ce sujet ?
P. C. : Pas grand-chose, en fait. Certaines études ont montré que ce type d’effort induit un stress extrême et une réaction physiologique, dite d’inflammation, importante. Mais on ne comprend pas encore véritablement les mécanismes à l’origine de cette dernière. Or cette réaction est unique : elle présente de nombreuses similitudes avec la réaction d’inflammation rencontrée dans certaines pathologies induisant un stress extrême pour l’organisme, comme l’infarctus.

De gauche à droite, images IRM coronales des cuisses d’un coureur prises avant et après la course, puis trois jours après illustrant la présence d’anomalies inflammatoires intramusculaires.
De gauche à droite, images IRM coronales des cuisses d’un coureur prises avant et après la course, puis trois jours après illustrant la présence d’anomalies inflammatoires intramusculaires.

Pourquoi ne pas avoir mené votre étude en laboratoire ?
P. C. : Pour une raison éthique : on ne peut pas demander à des volontaires recrutés à des fins de recherches, de fournir une activité aussi extrême que celle du Tor des géants. En courant de leur plein gré, les ultra-trailers participant à cette course constituent un formidable et unique modèle expérimental humain de l’activité physique extrême.

Les ultra-trailers
participant
au Tor des géants
constituent
un formidable
et unique modèle
expérimental
humain de
l’activité physique extrême.

Quelles expériences avez-vous menées sur eux ?
P. C. : Nous avons notamment exploré les effets de l’endurance extrême sur trois organes très sollicités par l’ultra-trail : le muscle cardiaque, les muscles des jambes et le cerveau. Cela via un large panel d’outils modernes permettant de mesurer le fonctionnement de ces organes, les modifications de leurs propriétés mécaniques ou encore l’ampleur du stress ou de la réaction d’inflammation dus à l’effort extrême : IRM couplée à des techniques très innovantes mesurant le fonctionnement du cœur et l’inflammation dans les tissus, échographie, dosage de molécules sanguines particulières, etc. En tout, 27 volontaires ont passé tous les examens prévus. Lesquels ont été répétés à quatre étapes clés de l’épreuve : avant le départ, à mi-parcours, à l’arrivée et après trois jours de récupération. Un travail fastidieux.

Quels enseignements espérez-vous tirer des données ainsi recueillies ?
P. C. : D’un point de vue recherche fondamentale, nos résultats devraient nous en apprendre plus sur plusieurs phénomènes physiologiques extrêmes : la réaction inflammatoire accompagnant  l’ultra-endurance, mais aussi les dommages musculaires et cardiaques occasionnés alors, la redistribution de l’eau au sein des muscles des jambes et du cœur en exercice, et les mécanismes de récupération après un tel effort. Ensuite, notre étude devrait aussi avoir des retombées médicales.
 
C’est-à-dire… ?
P. C. : Ses conclusions pourraient notamment aider à mieux comprendre – et donc à mieux prendre en charge – certaines situations pathologiques caractérisées par des réactions de stress et d’inflammation proches de celles observées chez les ultra-trailers, et représentant un enjeu majeur de santé publique. C’est le cas de l’infarctus, qui affecte 120 000 personnes par an en France, ou des patients de réanimation, dont plus de 50 % gardent des dommages musculaires de cet événement.
 
Quand pensez-vous publier vos premiers résultats ?
P. C. : Pas avant au moins deux ans. À ce jour, nous n’en sommes qu’au stade de l’analyse des données collectées sur le Tor des géants.

Notes
  • 1. Directeur adjoint du Centre de recherche en acquisition et traitement d’images pour la santé (CNRS/Inserm/Insa Lyon/UCBL).
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Auteur

Kheira Bettayeb

Journaliste scientifique freelance depuis dix ans, Kheira Bettayeb est spécialiste des domaines suivants : médecine, biologie, neurosciences, zoologie, astronomie, physique et nouvelles technologies. Elle travaille notamment pour la presse magazine nationale.

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