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Le tour du monde des microbes

Le tour du monde des microbes

11.01.2018, par
Le commerce international, tout comme le tourisme, l’agriculture ou le déversement des eaux usées, participe au déplacement des bactéries à travers le monde, sans que nous en mesurions pleinement les conséquences.
Les activités humaines transforment radicalement la circulation des microbes sur la planète, avec des répercussions probables sur les écosystèmes et les populations. Une équipe internationale de chercheurs en dresse le constat dans une étude parue en 2017 dans la revue Science.

Au cours de ces cent dernières années, une myriade d’innovations et de services ont profondément transformé les sociétés humaines. Mais certains de ces progrès – aujourd’hui considérés comme indispensables – ont un coût. Selon une étude internationale regroupant des microbiologistes et des spécialistes de l’environnement en Chine, Australie, France, Royaume-Uni et Espagne, le traitement des eaux usées, le tourisme et le transport des biens et matériaux sont responsables d’un bouleversement majeur dans la dissémination planétaire des micro-organismes, ces espèces vivantes de petite taille – bactéries, champignons et micro-algues – susceptibles de répandre des maladies mais qui jouent également un rôle crucial dans la vie des écosystèmes1. Selon les auteurs de l’étude, il est nécessaire d’anticiper les conséquences de cette « redistribution » provoquée par l’homme.
 

Partout présents et invisibles

Échappant à notre vue – et donc souvent à notre attention – les micro-organismes sont indispensables à la vie telle que nous la connaissons. « Ils permettent la vie des autres organismes en prenant part aux cycles biochimiques majeurs de la Terre », explique Pascal Simonet, un des auteurs de l’étude, chercheur au sein de l’équipe Génomique microbienne environnementale au laboratoire Ampère2 de Lyon.
 

Les micro-organismes permettent la vie des autres organismes en prenant part aux cycles biochimiques majeurs de la Terre.

Cela va de la décomposition des matières organiques du sol en nutriments végétaux, à la photosynthèse océanique, où les micro-algues produisent l’essentiel de l’oxygène que nous respirons. En plus de ces cycles naturels, les hommes utilisent abondamment les micro-organismes dans des processus allant de la production de biocombustibles à la fermentation alimentaire.

Pendant des milliards d’années, ce sont des forces physiques comme l’air et les courants marins qui ont présidé à la répartition géographique de ces chaînons essentiels, quoiqu’invisibles, de l’écosystème mondial. « Un équilibre entre les différents micro-organismes s’est progressivement instauré, certaines espèces devenant plus caractéristiques de certains environnements que d’autres », relate Pascal Simonet. Mais aujourd’hui, cet équilibre est rompu : les micro-organismes migrent en masse vers de nouveaux lieux, en raison d’activités humaines de grande ampleur ; les chercheurs désignent notamment trois coupables.

Un remorqueur déchargeant ses eaux de ballast dans le Brofjorden, en Suède, avant son départ. Les eaux de ballast des grands navires peuvent modifier la dissémination des bactéries océaniques.
Un remorqueur déchargeant ses eaux de ballast dans le Brofjorden, en Suède, avant son départ. Les eaux de ballast des grands navires peuvent modifier la dissémination des bactéries océaniques.

Le circuit des déchets

Le traitement des eaux usées est tout d’abord pointé du doigt. Les chercheurs soulignent en effet que celles-ci – dont 80 % sont peu ou pas retraitées – finissent souvent par irriguer les cultures, contaminant une alimentation destinée à une distribution mondiale. Notons que ces eaux usées transportent non seulement des micro-organismes intestinaux susceptibles de transmettre des maladies (comme la dysenterie ou la typhoïde), mais aussi des agents polluants tels que métaux, antibiotiques et désinfectants – des composés qui stimulent le système bactérien de réponse au stress, à l’origine de mutations qui leur permettent de résister à ces expositions. Ces stratégies bactériennes sont notamment la cause de leur résistance aux antibiotiques, qui rend inefficaces les traitements existants de certaines maladies – une conséquence amplifiée par la sélection naturelle. « Une bactérie qui mute avec succès pour sa survie a tendance à proliférer et à transmettre les gènes de résistance aux antibiotiques aux autres bactéries », indique Pascal Simonet.
 

Dans la valise du touriste

Autres coupables désignés, les voyages. Chaque année, les êtres humains cumulent 1,2 milliard de voyages touristiques internationaux. Le tourisme affecte le paysage microbien, car les voyageurs – et leurs organismes intestinaux – colonisent des destinations lointaines. L’étude souligne en particulier que le tourisme permet le transport intercontinental à grande vitesse des agents pathogènes résistants aux antibiotiques. « Du fait de ces voyages, et quelle que soit leur politique sanitaire, les pays peuvent difficilement éviter d’être touchés par ce qui se produit ailleurs », ajoute le chercheur.
 

Les êtres humains réalisent chaque année 1,2 milliard de voyages touristiques dans le monde, ce qui a aussi des effets sur le paysage microbien.
Les êtres humains réalisent chaque année 1,2 milliard de voyages touristiques dans le monde, ce qui a aussi des effets sur le paysage microbien.

Les remous du commerce

Autre responsable des migrations microbiennes actuelles, le transport maritime, qui modifie à grande vitesse la dissémination des bactéries océaniques au travers des eaux de ballast. Il s’agit de l’eau de mer pompée par les navires pour améliorer leur stabilité, qui est ensuite rejetée quand les bateaux arrivent à destination.

Dans le même temps, des activités comme l’agriculture, le bâtiment et l’extraction minière déplacent d’énormes quantités de sable, de sols et de pierres – ainsi qu’un volume inconnu de micro-organismes, sachant que chaque gramme de sol recèle environ un milliard de bactéries.
 

Un monde imprévisible

Que les microbes soient déplacés via l’élimination des eaux usées, les voyages ou le fret, leur équilibre naturel s’en trouve perturbé. Difficile cependant de déterminer avec précision de quelle manière ils en sont affectés. D’autant qu’on ne peut établir de comparaison avec la façon dont l’homme a décimé les populations d’organismes plus grands, tels les plantes ou les animaux indigènes, pour favoriser les cultures ou le bétail. « Les bactéries n’obéissent pas à la même logique que les autres organismes, déclare Pascal Simonet. Elles forment un monde à part, avec ses propres règles ; il est donc difficile de prédire leur comportement ».
 

Les bactéries n’obéissent pas à la même logique que les autres organismes. Elles forment un monde à part, avec ses propres règles.

Ainsi, certains signaux semblent indiquer que l’activité humaine ne présente pas de menace majeure pour la survie des microbes. « Ce sont des organismes très résilients, qui vivent dans tous les écosystèmes de la planète et s’adaptent très rapidement à des conditions différentes. Certaines bactéries ont évolué pour décomposer entièrement de nouveaux produits chimiques de synthèse, en modifiant leurs gènes », ajoute-t-il.

Mais, même si les micro-organismes semblent capables de s’adapter à ces changements dans leur répartition, ces transformations finiront par affecter les hommes et leurs écosystèmes. « Les conséquences seront-elles négatives ou positives ? Nous ne le savons pas », dit Pascal Simonet. Du coup, l’équipe de chercheurs insiste sur la nécessité d’une plus grande attention des scientifiques à l’égard de ces micro-organismes – dont il existe plus d’un million d’espèces. Leur étude « invite les chercheurs à identifier les effets de la redistribution microbienne en contrôlant et en modélisant les dynamiques de changement dans la biodiversité microbienne et les écosystèmes mondiaux, tout en exhortant les autorités publiques à financer ce type de recherches ». L’équipe de scientifiques appelle également à des améliorations dans le traitement des eaux usées et des déjections animales pour ralentir la dissémination des microbes. ♦

Notes
  • 1. « Microbial mass movements », Y.-G. Zhu, M. Gillings, P. Simonet et al., Science, 2017, vol. 357 (6356) : 1099-1100.
  • 2. Unité CNRS/École centrale de Lyon/Univ. Claude-Bernard/Insa Lyon/Inra.

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du journal CNRS