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L’E-médecine, antidote à la pénurie médicale?

L’E-médecine, antidote à la pénurie médicale?

25.03.2015, par
e-médecine
Stéthoscope posé sur un clavier d’ordinateur.
Concepteur d’un médecin virtuel capable d’interagir avec les patients pour diagnostiquer les problèmes de somnolence, le docteur Pierre Philip explique l’intérêt de ces nouveaux agents animés pour la médecine et la santé publique.

Qu’est-ce qu’un « médecin virtuel » ?
Pierre Philip1 : Nous préférons les appeler « agents conversationnels animés ». Il s’agit en fait d’un logiciel d’informatique émotionnelle ou affective computing, un projet sur lequel des équipes travaillent depuis une vingtaine d’années. Le principe consiste à faire interagir des agents virtuels avec des humains réels. Concrètement, vous avez un interlocuteur en blouse blanche, une image animée sur votre écran, qui vous pose une série de questions à voix haute et qui va modifier ses réactions en fonction de vos réponses, que vous donnez aussi à voix haute. Si vous n’avez pas compris sa question, il peut vous la répéter, puis vous l’écrire. Selon le type de logiciel, le langage non verbal, votre visage ou vos postures peuvent être prises en compte dans votre réponse, mais l’essentiel des informations recueillies est verbal.

A quoi sert précisément le logiciel que votre équipe vient de mettre au point ?
P. P. : Il permet le diagnostic d’un trouble du sommeil très répandu puisqu’il touche 10% de nos concitoyens : la Somnolence Diurne Excessive (SDE), responsable de nombreux accidents, et dont le dépistage est un véritable enjeu de santé publique. Notre agent conversationnel animé est destiné à des patients dont le médecin suppose qu’ils pourraient être concernés par cette maladie. Après un échange approfondi avec le patient, le logiciel est capable d’émettre des indications diagnostiques fiables : les tests ont montré, en effet, une grande corrélation entre les diagnostics établis par notre logiciel et ceux d’un médecin spécialiste du sommeil. Ce travail -une première pour les troubles du sommeil- ouvre des perspectives intéressantes et préfigure des médecins virtuels au diagnostic plus large, couvrant d’avantage de pathologies.

Médecin virtuel
Dispositif de «médecin virtuel» sur ordinateur développé par l’équipe du docteur Pierre Philip à la Clinique du sommeil du CHU Pellegrin, à Bordeaux.
Médecin virtuel
Dispositif de «médecin virtuel» sur ordinateur développé par l’équipe du docteur Pierre Philip à la Clinique du sommeil du CHU Pellegrin, à Bordeaux.

Quel est l’intérêt de créer des « agents conversationnels animés » pour la médecine ?
P. P. : Dans la recherche en neurosciences, où l’on sait que les réponses peuvent varier selon l’interrogateur, une méthode permettant la reproductibilité des entretiens cliniques constitue un progrès. Avec le vieillissement de la population s’accroissent les troubles du sommeil et les pathologies neuropsychiatriques, et il faut de plus en plus aider les médecins à diagnostiquer des malades toujours plus nombreux. Aujourd’hui, avec les tablettes, les smartphones et les sites Internet, des outils permettent déjà aux gens de se diagnostiquer. Lorsque vous arrivez chez le médecin, vous pouvez lui dire combien vous avez marché de pas et si vous avez grandi les quinze derniers jours. Les médias, l’économie, l’industrie et le business vont de plus en plus habiller le patient de capteurs. Et, puisque ce sont les patients qui achètent ces outils, on ne les force pas, je pense qu’une évolution conjointe va se faire côté usagers et côté médecins. Mais cette part d’auto-diagnostic a un certain degré de fragilité, car elle ne reproduit pas réellement un entretien avec un médecin. D’où l’idée d’utiliser des agents conversationnels animés avec un interrogatoire composé par des médecins et une apparence médicale avec une blouse blanche.

Quel est l’intérêt économique de ce dispositif ?
P. P. : Il y a un intérêt de santé publique majeur, en particulier dans le champ des maladies neurologiques et mentales, pour lesquelles le dépistage est essentiel. Si quelqu’un commence à développer une insomnie dans le cadre d’un épisode dépressif, vous pouvez corriger le trouble avec des consignes d’hygiène de sommeil et des interactions cognitivo-comportementales. Si la personne est totalement déprimée, il va falloir intervenir médicalement ou déployer beaucoup plus de stratégies thérapeutiques. Ces outils fiables et précis pourraient répondre de manière très pragmatique à la pénurie de médecins. On a un problème majeur de désertification médicale en France et, si l’on peut, pour les maladies chroniques, déployer des humains virtuels non comme remplaçants mais comme partenaires des soignants pour agir sur site, voire à domicile, on a là un dispositif très innovant.

Existe-t-il des risques par rapport au diagnostic virtuel ?
P. P. : On a toujours un risque, un thermomètre peut se tromper de 2 ou 3 degrés, on peut déclarer à un médecin des choses que l’on n’a pas forcément comprises. Justement, on a comparé les réponses fournies à un médecin réel à celles fournies à un médecin virtuel ; on a constaté que le taux de compréhension et le taux de fiabilité des réponses au médecin virtuel étaient extrêmement élevés. Le logiciel est doué d’empathie et propose, si vous n’avez pas compris une question, de vous la répéter et, si vous n’avez toujours pas compris, il vous l’écrira. Il n’a pas vocation à remplacer les médecins, mais à les assister dans leur démarche soignante. En France, il y a un nombre important de consultations prodiguées à des personnes qui présentent des troubles mineurs, qui peuvent parfois sortir avec des prescriptions de médicaments injustifiées et, dans le même temps, il y a un nombre important de patients réellement dépressifs qui ne sont pas diagnostiqués. Ce projet permet justement aux gens d’avoir un premier avis médical de manière délocalisée avec des humains virtuels.

e-médecine, tricordeur
Scène de «Star Trek» dans laquelle on voit M. Spock tenir un tricorder, un dispositif de diagnostic médical électronique inventé pour la série.
e-médecine, tricordeur
Scène de «Star Trek» dans laquelle on voit M. Spock tenir un tricorder, un dispositif de diagnostic médical électronique inventé pour la série.

La mise en place effective du dispositif pourrait prendre combien de temps ?
P. P. : Notre dispositif est déjà opérationnel, on s’en sert tous les jours en mode expérimental dans notre hôpital et, pour une diffusion plus large, le système peut être rapidement prêt. La question qui se pose est celle du mode de financement qui permettrait de payer ces interventions. On attend, comme pour beaucoup d’interventions de télémédecine, le remboursement et la possibilité de facturer une consultation avec un humain virtuel, sinon le système est déployable très rapidement.

N’y a-t-il pas un risque de dérive vers une politique de soins low cost ?
P. P. : La population vieillit avec une part croissante de maladies neuropsychiatriques, et il faut envisager de nouvelles solutions de prise en charge. Chaque patient dépisté trop tard coûte beaucoup plus cher quand il arrive dans les structures de soins, s’il y arrive, c’est-à-dire s’il n’a pas eu un accident de voiture à cause d’un problème de somnolence par exemple. Au XXIe siècle, nous aurons des diagnostics de proximité avec des outils de qualité, validés, reproductibles, instantanés, intuitifs, connectés à notre environnement technologique.

Quelles sont les maladies les plus indiquées pour cette façon de diagnostiquer ?
P. P. : Ces outils permettent de réaliser des entretiens cliniques. Ils sont adaptés à toute plainte comme les troubles du sommeil, la douleur, la dépression, les troubles de la perception, etc. Ils doivent donc être encadrés dans un dispositif médical, ils ne doivent pas être lâchés dans la nature sans supervision. Il faut qu’on explique bien aux gens à quoi servent ces outils, et leur dire que, si ceux-ci ne leur conviennent pas, ils peuvent toujours se rapprocher d’un vrai médecin. Sachant que le but du dispositif est qu’ils y aillent le plus tard possible, et le moins de fois possible. Ainsi, le jour où ils ont besoin du médecin, ils bénéficient de toute sa disponibilité. Ces outils vont être utiles comme méthode de référence pour l’entretien, mais il reste difficile de vouloir les exporter dans un endroit où il n’y a pas de médecin : ces agents virtuels sont des instruments à l’interface entre le malade et le médecin, ils ne remplacent pas le médecin.

Notes
  • 1. Spécialiste des troubles du sommeil, Pierre Philip est médecin à la Clinique du sommeil du CHU Pellegrin, à Bordeaux, et dirige des recherches en cognition et comportement au sein de l’unité Sommeil, attention et neuropsychiatrie (CNRS/Univ. de Bordeaux). Son équipe vient de développer un médecin virtuel sur ordinateur capable de poser des questions pertinentes et de rendre un diagnostic de somnolence diurne excessive.
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Auteur

Lydia Ben Ytzhak

Lydia Ben Ytzhak est journaliste scientifique indépendante. Elle travaille notamment pour la radio France Culture, pour laquelle elle réalise des documentaires, des chroniques scientifiques ainsi que des séries d’entretiens.

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