Sections

Le gaz, énergie de la transition ?

Dossier
Paru le 28.07.2014
Le gaz, une ressource pleine d'avenir

Le gaz, énergie de la transition ?

29.07.2014, par
Exploitation du gaz de schiste aux Etats-Unis.
Chevalets de pompage exploitant un champ d’hydrocarbures en Californie, aux États-Unis.
À l’heure de la transition énergétique, il est devenu nécessaire de disposer d’une source d’énergie stockable assurant le relais des énergies renouvelables intermittentes. Ainsi, certains présentent le XXIe siècle comme l’âge d’or du gaz, le considérant comme la moins nocive des énergies fossiles.

Que peuvent avoir en commun le P-DG de l’équipementier Vallourec1, Greenpeace Allemagne2 et l’Agence internationale de l’énergie (AIE)3 ? Tous voient dans le méthane, plus connu sous le nom de gaz naturel, si ce n’est la panacée, du moins la source d’énergie incontournable de la transition énergétique. Pourtant, ce gaz partage avec le pétrole ou le charbon le double défaut des énergies fossiles, être épuisable et générateur de gaz à effet de serre. « Il est important de resituer le problème du développement de nouvelles énergies dans le contexte de la double contrainte du développement énergétique durable à long terme, lié à la lutte contre le changement climatique, et de la raréfaction des sources d’énergie conventionnelles, affirme l’économiste Patrick Criqui, du laboratoire Pacte-Edden4. Or, malgré la montée en puissance des sources renouvelables telles que l’éolien, le solaire ou la biomasse, il n’existe à court et à moyen terme aucune solution de substitution totale aux énergies fossiles. » Dès lors, de nombreux spécialistes s’accordent à considérer le gaz, qu’il soit d’origine conventionnelle ou non, comme l’énergie de la transition. Reste à savoir quelle place il occupera dans la loi de transition énergétique qui a été présentée par Ségolène Royal au Conseil des ministres le 30 juillet et qui sera débattue au Parlement à l’automne.

L’énergie fossile la moins polluante

Parce qu’il est relativement facile à stocker et à distribuer, le gaz est une source d’énergie polyvalente et mobilisable à tout moment, ce qui en fait aussi le relais idéal des énergies éoliennes et solaires, par nature intermittentes, et qu’il peut pallier, notamment lors des pics de consommation électrique. « Actuellement, dans les grands pays industriels, le solaire photovoltaïque et l’éolien ne peuvent à eux seuls assurer une production électrique répondant de manière satisfaisante à la stabilité ou, au contraire, aux fluctuations de la demande, précise Alain Dollet, directeur adjoint scientifique de l’Institut des sciences de l’ingénierie et des systèmes, chargé de la cellule Énergie du CNRS. Tant que des procédés efficients de stockage de l’électricité ne seront pas déployés au sein de réseaux plus “intelligents”, on aura recours aux centrales thermiques classiques, et, si l’on n’y brûle pas du gaz, ce sera du pétrole, ou pire, du charbon. » Or le gaz naturel est compa­rativement la moins polluante des énergies fossiles : tandis que 1 kWh produit avec du méthane n’émet que 400 grammes de CO2, le pétrole et le charbon en émettent respectivement 600 et 800 grammes, en plus des suies et des particules fines.

Schiste bitumineux
Affleurement de schiste bitumineux renfermant des hydrocarbures dans la région du Pembrokeshire, en Grande-Bretagne.
Schiste bitumineux
Affleurement de schiste bitumineux renfermant des hydrocarbures dans la région du Pembrokeshire, en Grande-Bretagne.

De nouveaux gisements découverts

Par ailleurs, même si les réserves de gaz naturel fossile sont par essence limitées, la découverte et l’exploitation aux États-Unis de gisements non conventionnels – ce que l’on appelle improprement le gaz « de schiste » – a repoussé l’échéance de l’épuisement des réserves. « Du point de vue de l’utilisateur final, rien ne distingue un gaz conventionnel d’un gaz non conventionnel : il s’agit du même gaz naturel, insiste Alain Dollet. C’est l’endroit où réside le gaz et les techniques spécifiques employées pour l’en extraire qui déterminent sa nature conventionnelle ou pas. »

En effet, conventionnel ou non, ce qui sort du puits est toujours du méthane. Un gaz produit naturellement par transformation progressive de la matière organique emprisonnée dans une roche-mère. La particularité des gaz non conventionnels est qu’ils nécessitent le recours à des procédés plus agressifs, plus élaborés, et donc plus coûteux, pour aller récupérer le gaz présent dans des zones jusque-là inexploitées car non rentables. Les spécialistes identifient ainsi trois types de gaz non conventionnels en fonction de la couche géologique dont ils sont extraits. D’une part, le gaz de roche-mère, habituellement, et abusivement, appelé gaz « de schiste », qui, comme son nom l’indique, est resté prisonnier de sa roche-mère minérale et que l’on va libérer en fracturant cette dernière. Ensuite, le gaz de réservoir compact, un gaz qui a certes migré depuis sa roche-mère mais qui est ensuite retenu prisonnier dans une roche-réservoir qu’il faut fracturer ou forer horizontalement pour l’en extraire. Enfin, le gaz de charbon, ou gaz de couche, improprement appelé gaz « de houille », qui est un gaz de roche-mère naturellement présent dans tous les filons de houille, la roche-mère étant cette fois du charbon. C’est ce même gaz qui, lorsqu’il s’échappe spontanément du charbon et s’accumule dans les galeries de mines, provoque les coups de grisou.

Du point de vue de l’utilisateur final, rien ne distingue un gaz conventionnel d’un gaz non conventionnel : il s’agit du même gaz naturel

La tranformation en méthane commence donc par le dépôt et l’accumulation de déchets organiques (végétaux terrestres, plancton marin, etc.) qui vont former une boue sur laquelle vont s’empiler de nouvelles couches géologiques. « Durant l’enfouissement, cette matière organique est piégée dans ce qu’on appelle la roche-mère, explique Bruno Goffé, du Cerege5. Sous l’effet de la pression et de la température, elle va progressivement se transformer en charbon, s’il s’agit de sédiments terrestres ou, s’ils sont d’origine marine, en un résidu organique, le kérogène, puis en huile et enfin en gaz. » À ce stade, une partie du gaz va s’en échapper et remonter par poussée d’Archimède jusqu’à être retenue dans un piège géologique, la roche-réservoir, où le méthane va alors s’accumuler.

C’est de ces gisements situés dans des roches-réservoirs qu’on extrait le gaz naturel conventionnel à l’aide de forages verticaux. Le gaz non conventionnel résidant dans la roche-mère ou dans des roches particulièrement difficiles d’accès. Les géologues ont calculé que de 10 à 40 % des hydrocarbures générés dans la roche-mère en demeurent prisonniers. En outre, seule une petite fraction des hydrocarbures expulsés finit piégée dans des roches-réservoirs. On sait donc que les roches-mères recèlent un gisement potentiel du même ordre de grandeur que celui de tous les gisements conventionnels exploités depuis les débuts de l’industrie gazière et restant à découvrir ! Au point que, dans un de ses documents publié en 2011, intitulé « Entrons-nous dans l’âge d’or du gaz ? »6, l’AIE estimait probable un scénario où la consommation de gaz augmenterait de 50 % d’ici à 2035, représentant alors plus d’un quart de notre consommation d’énergie totale.

Une évaluation discutable des réserves

L’optimisme de l’AIE est toutefois loin de faire l’unanimité, notamment en ce qui concerne l’estimation des réserves de gaz exploitables à un coût économiquement, socialement et environnementalement tolérable. Selon Bruno Goffé, « l’évaluation actuelle des réserves fait débat, car, en fait, on ne connaît pas grand-chose de cellec-ci : en Pologne, par exemple, où elles étaient estimées entre 30 et 440 ans de consommation nationale, certains opérateurs, comme Exxon, se sont retirés, signifiant sans doute que la ressource est moins abondante que prévu ou plus difficile à extraire ».

Il n’en demeure pas moins que, dès les années 1970, face à l’épuisement rapide des réserves conventionnelles et motivée par l’envol des prix, l’industrie gazière a adapté et développé des techniques lui permettant de libérer et de puiser ne serait-ce qu’une infime fraction de cette ressource non conventionnelle de gaz. C’est ainsi que, dans les années 2000, la combinaison de la maîtrise des forages horizontaux et de l’amélioration de la technique de la fracturation hydraulique a permis la première exploitation économique du gaz de roche-mère.

Fracturation hydraulique: risques et impacts
Les risques et les impacts de la fracturation hydraulique.
Fracturation hydraulique: risques et impacts
Les risques et les impacts de la fracturation hydraulique.

Les sales débuts du fracking

« La fracturation hydraulique a été inventée en 1949. Plus d’un million de puits ont déjà été fracturés pour toutes sortes d’usages, pas seulement pour les gaz non conventionnels, mais aussi pour la géothermie, pour le pétrole conventionnel, pour l’eau », rappelle Bruno Goffé. La mise en œuvre de cette méthode supposée éprouvée s’est toutefois faite dans la douleur. « Il est vrai que la première vague de forages, qui a conduit au boom des gaz “de schiste” aux États-Unis, s’est effectuée la plupart du temps sans réelle évaluation des risques, sans concertation avec la population et hors de toute régulation », regrette Patrick Criqui.

Le gaz n’est ni la panacée ni le cauchemar de la transition énergétique mais il jouera un rôle important dans la diversification des sources d’énergie.

Résultat : elle s’est soldée par des dégâts environnementaux et humains importants, qui expliquent aujourd’hui l’intense méfiance ressentie, notamment en Europe, à l’encontre de l’exploitation des gaz de roche-mère. Et ce d’autant plus que, contrairement aux États-Unis où les propriétaires de terrains possédant également les ressources de leur sous-sol et retirent donc un profit des forages, dans la plupart des pays, l’État est propriétaire du sous-sol, et donc seul bénéficiaire de son exploitation, via les concessions. « On se retrouve à exploiter des gisements qui sont au pied des citoyens, ces derniers constatant bien qu’ils sont exposés aux désagréments de l’exploitation sans en retirer aucun bénéfice financier immédiat », relève Normand Mousseau, professeur au département de physique de l’université de Montréal et auteur de plusieurs livres et articles sur les gaz non conventionnels.

Les principaux risques identifiés

« Il faut reconnaître que, grâce aux déboires des exploitants américains, on sait maintenant ce qu’il ne faut pas faire », remarque Bruno Goffé. Car, quelle que soit la position de chacun sur l’opportunité d’exploiter les gaz non conventionnels, un relatif consensus existe désormais quant aux principaux risques et impacts socio-environnementaux liés à cette activité : contamination des nappes d’eau souterraines par les hydrocarbures et les additifs chimiques des boues de fracturation en raison de fuites dans les puits ; pollution des sols à la suite de mauvais retraitements, voire de l’épandage illégal des liquides de fracturation usés ; emprise sur les paysages due au ballet des camions de chantier et à la multiplication des puits dont les rendements chutent rapidement ; consommation excessive d’eau durant la phase de fracturation, au détriment des usages résidentiels et agricoles ; émission de gaz à effet de serre, notamment de ­méthane, lors de l’exploitation. « On sait comment prévenir ces risques ou y remédier par la mise en place de bonnes pratiques comme le retraitement et le recyclage des liquides de fracturation, note Alain Dollet. Bien sûr, ces bonnes pratiques ont un coût parfois élevé, qui pourrait s’avérer dissuasif pour d’éventuels exploitants, en particulier en Europe. »

Groupe de puits de forages non conventionnels au Texas.
Vue aérienne d’un groupe de puits de forages non conventionnels au Texas, aux États-Unis.
Groupe de puits de forages non conventionnels au Texas.
Vue aérienne d’un groupe de puits de forages non conventionnels au Texas, aux États-Unis.

La nécessaire diversification des sources d’énergie

De fait, la plupart des experts estiment que, même si les Européens se lançaient dans l’exploitation de gaz de roche-mère, le coût de production de ce gaz serait équivalent, voire supérieur, aux cours internationaux. « En ce qui concerne l’exploitation des gaz non conventionnels, pour des raisons liées autant aux conditions géologiques qu’aux spécificités de l’industrie pétrolière américaine, la transposition du modèle états-unien au reste du monde est peu probable, précise Patrick Criqui. Il n’empêche que, avec des ressources conventionnelles en voie d’épuisement et un gaz payé ­aujourd’hui deux à trois fois plus cher qu’aux États-Unis, la question se pose d’un approvisionnement gazier de l’Europe permettant de concilier sécurité de l’approvisionnement et compétitivité de l’industrie. » Car, selon cet économiste, l’Europe aura de toute façon besoin du gaz pour satisfaire la demande électrique sans faire la part trop belle à la plus sale mais la moins chère des énergies fossiles : le charbon. La récente décision du gouvernement allemand d’autoriser la prospection des gaz de roche-mère en vue d’une exploitation s’inscrit dans ce compromis. « Le gaz n’est ni la panacée ni le cauchemar de la transition énergétique, mais il est appelé à jouer un rôle important dans la diversification des sources d’énergie qui permettront d’assurer cette transition », résume Alain Dollet.

Voir aussi:

 

Notes

Commentaires

1 commentaire

Cette article est assez inquiétant, utiliser le gaz comme relais dans la transition énergétique comporte des problèmes de taille qui ne sont pas abordés ici: - Le gaz se substitue difficilement au pétrole, hors c'est le pétrole qui va manquer en premier (accessoirement c'est aussi le pétrole qui a le plus gros impact environnemental en termes d'émissions de GES). - L'utilisation du gaz risque de nuire aux investissement dans le développement des alternatives à l'utilisation des énergie fossiles, même si ici on parle de "relais" il y a fort à parier que dans l'esprit des décideurs le raisonnement sera plutôt du type "bon on va gagner 20 ou 30 ans avant que les problèmes arrivent, en attendant il y a des problèmes plus urgents à traiter".
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS