Logo du CNRS Le Journal Logo de CSA Research

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Votre avis nous intéresse.

Le CNRS a mandaté l’institut CSA pour réaliser une enquête de satisfaction auprès de ses lecteurs.

Répondre à cette enquête ne vous prendra que quelques minutes.

Un grand merci pour votre participation !

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Sections

La vie secrète du poisson-clown

La vie secrète du poisson-clown

19.12.2018, par
Le poisson-clown de l’espèce Amphiprion ocellaris est celui que l’on retrouve dans le film d’animation «Le Monde de Némo».
Du rôle de ses bandes blanches à sa lutte pour la reproduction en passant par son hermaphrodisme, le poisson-clown n’a pas fini de nous étonner. Retour sur la véritable histoire de cette star des récifs.

Livrée à elle-même dans l’immensité marine, une larve dérive au milieu de l’océan. L’œuf qui l’abritait a éclos quelques jours plus tôt sur un récif, où elle s’apprête à retourner. De larve transparente, elle va se transformer en un juvénile aux couleurs chatoyantes et aux bandes blanches verticales. Celui-ci entame alors la phase de « recrutement », à la recherche d’une anémone de mer où s’abriter pour passer le reste de son existence. Ce jeune poisson-clown est-il un futur Némo, le héros du dessin animé Le Monde de Némo ? Pas si sûr, car il existe 28 espèces différentes de poissons-clowns, différenciées par la couleur, la forme des nageoires et… le nombre de bandes blanches :  3, 2, 1 ou 0  !  Némo appartient à l’une des espèces les plus répandues, également connue sous le doux nom d’Amphiprion ocellaris.

Mais comment apparaissent ces bandes blanches et ont-elles un autre rôle que celui de différencier les espèces ? Pour répondre à ces questions, Vincent Laudet, chercheur et directeur de l’Observatoire océanologique de Banyuls-sur-Mer1, dans les Pyrénées-Orientales, et ses collègues de l’université de Liège et du Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe)2, ont observé les poissons-clowns. Leurs travaux les ont conduits à des conclusions étonnantes et ont fait l‘objet d’une étude parue en septembre.
 
 

Des bandes bien ordonnées

Derrière cinq années de recherche sur les poissons-clowns se cache un intérêt pour le rôle des hormones dans l’évolution et notamment celui de l’hormone thyroïdienne. Celle-ci contrôle la métamorphose chez les mammifères, mais son rôle reste méconnu. Les variations de la réponse aux hormones thyroïdiennes permettent de produire différents types de métamorphoses. Afin de pouvoir les étudier, Vincent Laudet et ses collègues cherchaient donc des animaux ayant des variations évidentes entre espèces proches. Les poissons coralliens se sont avérés de parfaits candidats. « L’intérêt du poisson-clown est qu’il est pratiquement le seul poisson corallien dont on peut reproduire l’intégralité du cycle de vie en laboratoire. Quand je suis venu m’installer à Banyuls il y a trois ans, nous avons donc monté un élevage », raconte Vincent Laudet.

« Nous avons montré que l’apparition des bandes blanches se fait bien sous le contrôle des hormones thyroïdiennes », précise Vincent Laudet. Ces bandes apparaissent une à une pendant la métamorphose de la larve en juvénile, selon un ordre bien précis : de la tête vers la queue, en passant par le tronc. Elles respectent ainsi quatre patrons : aucune bande ; 1 bande sur la tête ; 2 bandes,  sur la tête et le tronc ; 3 bandes, sur la tête, le tronc et la queue. « C’est toujours dans cet ordre-là. Aucun poisson-clown n’a qu’une bande sur la queue, qu’une sur le tronc ou seulement sur le tronc et la queue. Cela laisse penser qu’un système contrôle tout ça. On s’est donc intéressé à l’histoire évolutive des poissons-clowns et de leurs bandes au cours de l’évolution. C’est une histoire de perte », explique Vincent Laudet.

Les différentes espèces de poissons-clowns ont de 0 à 3 bandes qui correspondent à des patrons très précis : 1 bande sur la tête  ; 2 bandes, sur la tête et le tronc ou 3 bandes, sur la tête, le tronc et la queue.
Les différentes espèces de poissons-clowns ont de 0 à 3 bandes qui correspondent à des patrons très précis : 1 bande sur la tête  ; 2 bandes, sur la tête et le tronc ou 3 bandes, sur la tête, le tronc et la queue.

L’espèce ancestrale possédait 3 bandes avant qu’au cours de la diversification des poissons-clowns, des pertes de bandes ne soient observées à plusieurs reprises, là aussi dans un ordre bien précis. De la queue vers la tête, en passant par le tronc, soit l’ordre inverse du développement de l’individu. « Il y a un parallèle frappant entre ce qu’on observe au cours de l’évolution des espèces (phylogenèse) et ce qu’on voit au cours du développement de l’individu (ontogenèse). », fait remarquer Vincent Laudet.

Au cours du développement, il arrive cependant que des juvéniles perdent des bandes en passant au stade adulte. « Nous avons été surpris par le cas d’A. frenatus. Le juvénile possède deux ou trois bandes alors que l’adulte n’en a plus qu’une. » Cette transformation se fait également dans l’ordre inverse du développement : de la queue vers la tête, en passant par le tronc. « Cela suggère qu’il existe un système contraint par la polarité antéropostérieure du corps (la répartition des organes le long de l’axe tête-queue) qui contrôle le nombre de bandes. La prochaine étape est de connaître les gènes qui l’influencent. » Quant à la couleur blanche des bandes, elle est due à des cellules particulières qui réfléchissent la lumière : des iridophores.

L’acquisition des bandes chez l’adulte A. frenatus est aussi une histoire de perte. Ainsi, au stade larvaire, aucune bande blanche n’apparaît. Au cours de la métamorphose jusqu’au stade juvénile une, puis deux et l’ébauche d’une troisième bande, sur la queue, font leur apparition. À l’âge adulte, une seule bande reste sur la tête.
L’acquisition des bandes chez l’adulte A. frenatus est aussi une histoire de perte. Ainsi, au stade larvaire, aucune bande blanche n’apparaît. Au cours de la métamorphose jusqu’au stade juvénile une, puis deux et l’ébauche d’une troisième bande, sur la queue, font leur apparition. À l’âge adulte, une seule bande reste sur la tête.

 
 

À chacun sa place !

Une fois le mystère de l’apparition des bandes blanches élucidé,  les chercheurs se sont intéressés à l’anémone, lieu de vie des poissons-clowns, et à leur structure sociale. Celle-ci est dominée par une grosse femelle, qui défend l’anémone des petits prédateurs. S’ensuivent un mâle plus petit, ainsi que plusieurs juvéniles classés par taille, formant une file d’attente. Lorsqu’une nouvelle recrue arrive, elle se positionne à la queue. « Mais il peut arriver que la femelle se fasse croquer par un mérou ou un autre prédateur qui passait par là. » Le rôle de la femelle serait alors pris par le plus gros mâle. On parle dans ce cas d’hermaphrodisme successif.

Dans la même logique, le premier juvénile dans la file d’attente se transformerait donc en mâle, puis chacun avancerait ainsi d’un cran dans la file d’attente. « Dans Le Monde de Némo, la maman poisson-clown meurt, le papa s’occupe de son petit et il leur arrive plein d’aventures. Dans la réalité, le papa de Némo se transformerait en maman, Némo en papa, et ils feraient des bébés ensemble. On comprend que Pixar ait transformé la réalité ! » Chacun défend précieusement sa place dans cette hiérarchie. « Il est extraordinaire d’imaginer que certains juvéniles peuvent attendre dix, vingt ou trente ans avant que ça soit leur tour ! L’espérance de vie du poisson-clown va de trente à cinquante ans, ce qui, pour un poisson de cette taille, est colossal. »
 

Les poissons-clowns (Amphiprion nigripes) vivent en bande autour de leur anémone : insensibles aux tentacules urticants de l’anémone, ils se cachent à l’intérieur pour se protéger des prédateurs et, en retour, l’anémone se nourrit de leurs déjections.
Les poissons-clowns (Amphiprion nigripes) vivent en bande autour de leur anémone : insensibles aux tentacules urticants de l’anémone, ils se cachent à l’intérieur pour se protéger des prédateurs et, en retour, l’anémone se nourrit de leurs déjections.

Un phénomène fascinant se produit lorsqu’un juvénile vient à disparaître dans la file d’attente. Si le juvénile en 2e position disparaît, le 3e grandit jusqu’à atteindre la taille qu’avait le 2e. Le 1er, s’il voit que le 3e grandit trop, va l’attaquer et il risque même de l’expulser de l’anémone. « Pour un poisson-clown, être expulsé de l’anémone c’est la mort assurée. C’est l’agressivité du plus grand qui arrête la croissance du plus petit ! Il y a beaucoup de mortalité due à des disputes. »

Reste pour les chercheurs à comprendre la raison pour laquelle certaines espèces perdent des bandes entre le stade juvénile et le stade adulte. « Le juvénile, jeune recrue qui rentre dans l’anémone, a plutôt intérêt à faire savoir qu’il est différent de ceux qui sont dans la queue, qu’il n’est pas en concurrence pour la future reproduction », interprète Vincent Laudet. À notre grande surprise, lorsque des poissons-clowns de différentes espèces partagent une anémone, ils ont toujours un nombre de bandes différent. Il n’y a jamais de poissons d’espèces différentes qui ont le même nombre de bandes dans une même anémone. Nous pensons donc que les bandes les aident à se différencier, c’est-à-dire qu’elles sont utiles à la reconnaissance interspécifique. »
 

Comme un poisson dans son anémone

La relation du poisson-clown avec son environnement est également fascinante. Dans une étude parue en août 2018 dans la revue Scientific Reports 3, des écologues du CNRS, de l’Université de Montpellier, d’Andromède Océanologie et du Centre universitaire de Mayotte ont montré que la valeur esthétique des poissons tropicaux n’est pas corrélée à leur valeur écologique. Autrement dit, les poissons les plus importants écologiquement au regard de leurs caractéristiques (taille, régime alimentaire, mode de vie…) ne sont pas ceux qui avaient été jugés comme les plus beaux par les personnes consultées pour l’étude. Ces résultats nous mettent en garde sur l’importance que nous accordons à l’esthétisme dans notre rapport à l’environnement et à notre perception de la biodiversité.

« Si je compare avec le poisson-chirurgien (Dory dans Le Monde de Némo) qui est absolument essentiel pour contrôler la croissance des algues et donc la survie du récif, le poisson-clown, considéré comme l’un des plus beaux poissons coralliens, a certainement un rôle moins indispensable », confirme Vincent Laudet.

Les poissons les plus importants écologiquement au regard de leurs caractéristiques (taille, régime alimentaire, mode de vie…) ne sont pas ceux que l’on juge comme les plus beaux.

Les poissons-clowns restent néanmoins importants pour la survie des anémones de mer avec lesquelles ils vivent en symbiose. Il s’agit plus spécifiquement d’un mutualisme, puisque chacun y trouve son compte.

Ainsi, les poissons-clowns, insensibles aux tentacules urticants de l’anémone, se cachent à l’intérieur pour se protéger des prédateurs et, en retour, l’anémone se nourrit de leurs déjections. Les anémones, photo­synthétiques, produisent de l’oxygène le jour mais en manquent la nuit. Si l’eau n’est pas brassée, elles se retrouvent en hypoxie, une situation où l’apport en oxygène est plus faible que leurs besoins.

« Un merveilleux comportement a été démontré. La nuit, les poissons-clowns battent des nageoires pour faire en sorte que de l’eau oxygénée arrive en permanence vers l’anémone. Une anémone qui n’a pas de poisson-clown grandit moins vite et se porte moins bien. Je pense que si on perdait les poissons-clowns, on perdrait assez vite les anémones, et pouvez-vous imaginer un récif sans anémones de mer ? »

Attention fragiles !

Poissons-clowns et anémones ont donc besoin l’un de l’autre, et la disparition de l’un a de très fortes chances d’entraîner la disparation de l’autre. Ainsi, dans une étude parue en octobre 2017, dans la revue Nature Communications, des chercheurs du Criobe alertaient de l’affaiblissement de la fécondité des poissons-clowns. En cause : le blanchissement des anémones de mer, au même titre que les coraux. « Si les jeunes recrues ont le choix, elles auront plutôt tendance à choisir une anémone non blanchie. Si elles se mettent toutes à blanchir à cause du réchauffement climatique, elles ne vont pas survivre et les poissons-clowns non plus. »
 

Poissons-clowns (Amphiprion chrysopterus) et anémones dans les récifs autour de l'île de Moorea, en Polynésie française. La teinte dorée des anémones est due à des microalgues présentes dans leurs tentacules. Au cours d’épisodes de températures élevées, celles-ci sont expulsées, ce qui produit le blanchissement de ces derniers.
Poissons-clowns (Amphiprion chrysopterus) et anémones dans les récifs autour de l'île de Moorea, en Polynésie française. La teinte dorée des anémones est due à des microalgues présentes dans leurs tentacules. Au cours d’épisodes de températures élevées, celles-ci sont expulsées, ce qui produit le blanchissement de ces derniers.

Autre danger : les polluants environnementaux. Le récepteur des hormones thyroïdiennes est la cible de perturbateurs endocriniens. Le chlorpyrifos, insecticide répandu, peut affecter la métamorphose des poissons-clowns et des poissons coralliens. Il altère la réponse aux hormones thyroïdiennes en modifiant la transformation de la larve en juvénile. « Il y a des questions concernant le maintien de la biodiversité qui se posent et que l’on va pouvoir étudier grâce à nos travaux. »

Chaque découverte amenant de nouvelles questions, elles font du ­poisson-clown un sujet de recherche inestimable non seulement du point de vue de l’évolution et du développement, mais également du point de vue écologique. « Comment les larves prennent la décision de revenir sur le récif  ? Quels sont les facteurs qui vont décider de leur taux d’hormones thyroïdiennes et donc de leur métamorphose au moment opportun ? Comment trouvent-elles l’anémone où elles vont vivre et se faire accepter ? Et finalement, comment les pesticides et autres polluants vont perturber ces étapes clés de la vie du poisson-clown ? Tout reste à découvrir. Je suis content qu’on parle du poisson-clown, car je pense qu’il est un modèle infini et fascinant pour les scientifiques », conclut Vincent Laudet. ♦
 
 
 
 

 
 

Notes
  • 1. Unité CNRS/Sorbonne Université.
  • 2. Unité CNRS/École pratique des hautes études/PSL Université/Université de Perpignan Via Domitia.
  • 3. Cette étude a reçu un financement du CNRS, dans le cadre du programme Projets exploratoires premier soutien du CNRS et de la Fondation de France.

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS