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La retraite nuit-elle à la mémoire?

La retraite nuit-elle à la mémoire?

15.09.2014, par
Un groupe de femme à l'âge de la retraite.
Alors que débute la Semaine de la mémoire en Basse-Normandie, Stéphane Adam, professeur de psychologie du vieillissement, nous explique quels sont les effets de l’arrêt de l’activité professionnelle, au moment de la retraite, sur la mémoire.

Vos recherches semblent montrer que prendre sa retraite a un effet négatif sur la mémoire. Pour quelle raison ?
Stéphane Adam1 :
Qu’on le veuille ou non, la retraite implique souvent une diminution des activités. Rares sont les retraités actifs 35 heures par semaine. Or nos capacités cognitives sont liées à ces occupations. D’une façon générale, plus on est actif durant sa vie, plus on a la capacité de conserver une bonne mémoire en vieillissant. Mais ne pensez pas qu’à 60 ans tout soit déjà joué. Nos recherches2 montrent qu’une personne de cet âge qui conserve son activité professionnelle a, en moyenne, une meilleure mémoire et une plus grande capacité de concentration qu’une personne du même âge à la retraite.
 

Cette baisse des capacités se perçoit à un niveau statistique, mais reste imperceptible dans la vie quotidienne .

Comment avez-vous mis en évidence les effets de la retraite ?
S. A. :
Nous avons exploité les résultats d’une enquête menée dans onze pays européens sur 55 000 individus3. Chaque participant effectuait deux tests. Le premier consistait à écouter une liste de dix mots et à en répéter le plus possible, tout de suite après l’écoute, puis cinq minutes plus tard. Pour le second test, la personne devait prononcer le plus de noms d’animaux possible en une minute. Les scores obtenus aux deux exercices ont permis de faire une estimation des capacités cognitives globales de chaque participant. Grâce à ces données, nous avons mis en évidence que ce sont les pays européens où la retraite est la plus tardive que les capacités cognitives des plus de 50 ans diminuent le moins.

En analysant une enquête américaine4, nous avons aussi découvert que c’est un an après l’arrêt de l’activité professionnelle que la mémoire commence à diminuer. Le pic des départs à la retraite s’effectue à l’âge de 62 ans aux États-Unis. Or la catégorie des participants de 63 ans montre clairement une baisse des capacités cognitives. Mais, si cette diminution se perçoit à un niveau statistique, elle reste imperceptible dans la vie quotidienne de ces personnes.

Mais alors, va-t-il falloir travailler toute sa vie pour conserver ses souvenirs ?
S. A. : Ce serait inutile, car la mémoire aura tendance, dans tous les cas, à diminuer avec l’âge. Rester actif permet de conserver une meilleure mémoire pendant une dizaine d’années par rapport à une personne inactive. Ensuite, les capacités mémorielles finissent par rejoindre un même niveau de performance. On pourrait penser que c’est un argument politique pour repousser l’âge de la retraite, mais ce serait fortement réducteur pour notre recherche. Par exemple, l’effet négatif de la retraite ne se vérifie pas pour les ouvriers. Et les personnes qui font des heures décalées ont, elles, tout intérêt à prendre leur retraite tôt sous peine de voir leurs capacités cognitives diminuer plus vite que le reste de la population. Avant d’utiliser cette idée en politique, il faut donc beaucoup d’études complémentaires.

Comment peut-on atténuer cette perte de mémoire consécutive au départ à la retraite ?
S. A. :
Au-delà du travail, ce qui est important, c’est de rester actif. D’abord, il est préférable de ne pas arrêter brutalement l’activité professionnelle. Une bonne alternative serait de permettre aux salariés de continuer leur activité à temps partiel. Ils maintiendraient ainsi plus longtemps leur réseau social et pourraient introduire en douceur de nouvelles activités dans leur quotidien.

Au-delà du
travail, ce qui est
important, c’est
de rester actif.

Nous avons d’ailleurs observé un effet négatif de la retraite plus marqué chez les hommes que chez les femmes. D’un point de vue social, et en généralisant, le travail constitue l’identité centrale de l’homme. Lors de la retraite, il passe de tout à rien. Cet effet est moins important chez la femme qui a plus souvent pratiqué des activités extérieures au travail, notamment les tâches ménagères et l’éducation des enfants. Les activités qui préservent le plus la mémoire sont la participation à des formations ou des conférences et la pratique du bénévolat.

Les personnes âgées devraient donc multiplier les activités ?
S. A. :
En 2012, nous avons eu droit à l’Année européenne du vieillissement actif. Sous couvert de cette nouvelle formule, on oblige nos anciens à participer à de nombreuses activités pour les stimuler. Souvent, elles sont mises en place sans aucune réflexion sur leur pertinence. On amène des animaux dans les maisons de retraite sans laisser le choix aux pensionnaires. On leur donne des séries d’exercices censés améliorer leur mémoire, etc. Cela engendre une pression sur la personne et provoque de l’anxiété.Une activité constructive doit être définie en fonction de la personnalité. Il s’agit d’une activité et non de quinze activités différentes, et c’est mieux si cette occupation s’inscrit dans ce que le retraité faisait avant, ce qui lui plaisait. Je connais une dame qui tricote tout le temps. Le personnel de sa maison de retraite a pensé que c’était forcément anormal, qu’il devait s’agir d’un toc et l’a encouragée sans relâche à faire du jardinage et à socialiser. Pourtant, le tricot, c’est ce qu’elle sait faire et surtout c’est ce qu’elle aime.

Quelles sont les dernières découvertes sur le vieillissement et la mémoire ?
S. A. :
Nous avons eu trop tendance à faire un lien facile et unique entre mémoire, vieillissement et cerveau. Le vieillissement a bien un impact sur le cerveau et les modifications qu’il implique peuvent avoir des conséquences sur le fonctionnement de la mémoire. Cependant, on s’aperçoit de plus en plus, que des facteurs non pas biologiques mais psychologiques et sociaux jouent directement sur la mémoire. Le simple fait de dire à une personne qu’on va lui faire passer des tests de mémoire pour vérifier ses performances fait baisser ses résultats. Nous pensons donc que la retraite peut également influencer le fonctionnement de la mémoire via ces facteurs psychosociaux. Par exemple, à cette période de la vie, le nouveau retraité peut parfois se sentir moins utile à la société. Il peut avoir l’impression d’être un coût pour la société et se sentir coupable. Il entend aussi dire en permanence qu’il va avoir des problèmes de santé. Ce sont ces facteurs qui vont diminuer ses performances. On sait d’ailleurs que les personnes ayant une vision négative du vieillissement ont par la suite plus de problèmes de santé que celles qui ont une vision positive de la vieillesse. Il vaut donc mieux ne pas parler d’éventuels problèmes médicaux aux jeunes retraités.

À suivre :

Semaine de la mémoire, du 15 au 20 septembre 2014, à Caen et en Basse-Normandie.
Une semaine inédite entièrement dédiée à la mémoire, en compagnie de chercheurs venus du monde entier pour partager leurs recherches et leurs découvertes sur le sujet : www.semainedelamemoire.fr

Notes
  • 1. Unité de psychologie de la sénescence, université de Liège.
  • 2. « Occupational activity and cognitive reserve : implications in terms of prevention of cognitive aging and Alzheimer’s disease, Stéphane Adam, Éric Bonsang, Catherine Grotz et Sergio Perelman, Clinical Interventions in Aging, 2013 : 8, 377–390.
  • 3. The Survey of Health, Ageing, and Retirement in Europe 2004 (Share, Austria, Belgium, Denmark, France, Germany, Greece, Italy, the Netherlands, Spain, Sweden, and Switzerland).
  • 4. The Health and Retirement Study 2004 (HRS, États-Unis).

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