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La médecine prédictive, médecine d’avenir ?

La médecine prédictive, médecine d’avenir ?

15.07.2013, par
Mis à jour le 24.02.2014
Angelina Jolie après sa double mastectomie préventive.
Angelina Jolie était à Londres le 2 juin 2013 pour sa première apparition publique après sa double mastectomie.
Face à une forte probabilité de développer un cancer du sein, Angelina Jolie a choisi de subir une ablation préventive. Que sait-on exactement prédire avec les tests génétiques ? La médecine prédictive sera-t-elle la médecine de demain ?

En mai 2013, l’annonce de la double mastectomie d’Angelina Jolie faisait le tour de la planète. Au cœur de la décision de l’actrice américaine, le gèneFermerUn gène est un fragment d'ADN qui contient de quelques milliers de lettres à plus de 2 millions. Il y a 30 000 gènes dans notre ADN. Si une ou deux lettres d'un gène sont différentes par rapport à la version normale, on dit qu'il a muté. Il peut alors provoquer une maladie génétique. BRCA1, dont la mutation dans son patrimoine génétique prédisait un risque beaucoup plus élevé que celui de la population générale de développer plus tard un cancer du sein ou des ovaires : 87 % pour le premier, et 50 % pour le second, selon ses médecins. Depuis cette intervention lourde, son risque de cancer du sein est redescendu à 5 %, déclarait-elle au New York Times. Déterminer, bien avant l’apparition de symptômes, les prédispositions à des maladies grâce à un test génétique dans le but de faciliter leur prise en charge, voire d’éviter leur survenue, c’est le rêve que fait miroiter la médecine prédictive.

Bien avant la génétique, la médecine faisait des prédictions

La médecine n’a pas attendu l’avènement de la génétique pour faire des prédictions. Par exemple, le dépistage néonatal de la phénylcétonurie par dosage sanguin, systématique en France depuis 1972, permet de placer immédiatement l’enfant sous régime alimentaire particulier et d’éviter l’apparition d’un retard mental. La mammographie a pour but de déceler des prémices de cancers encore silencieux dans le sein. Tandis que la récente technique PIB (Pittsburgh Compound B) par imagerie cérébrale prédit avec une forte probabilité les formes génétiques de la maladie d’Alzheimer, parfois des dizaines d’années avant l’apparition de symptômes, grâce à la coloration de dépôts amyloïdes.

En quoi la génétique change-t-elle la donne ? « Pour l’instant, en dehors du diagnostic anténatal et de maladies héréditaires généralement rares , les applications cliniques d’une médecine prédictive dictée par les gènes sont extrêmement limitées », informe Anne Cambon-Thomsen, généticienne1 au CNRS et experte associée au comité d’éthique de l’organisme (Comets). Ses applications sont limitées parce que la plupart des maladies sont multifactorielles. Cette médecine ne deviendra donc peut-être jamais réalité, contrairement à une autre branche, la pharmaco­génétique qui, elle, sait déjà prédire l’efficacité de certains traitements.

De nombreuses questions sociétales en suspens

Quoi qu’il en soit, les tests génétiques sur lesquels se fondent toutes ces approches démultiplient les enjeux et les questions déjà posées avec les autres techniques de diagnostic précoce. En particulier si des tests couvrant la totalité du génome – dont le coût serait aujourd’hui tombé à 1 000 dollars2 – se généralisent dans la pratique courante.

D’abord, le risque de découvrir plus d’informations que l’on en cherchait, occasionnel avec l’imagerie médicale ou une simple prise de sang, deviendrait systématique. La question éthique du « droit de ne pas savoir » pour les patients – et pour les membres de leur famille qui présentent peut-être les mêmes prédispositions – serait alors récurrente et de plus en plus complexe.

Ensuite, il faudrait apprendre à gérer plus d’incertitudes. Bien sûr, celles-ci existent déjà lors d’examens biologiques classiques. « La limite entre normal et pathologique dépend d’ailleurs beaucoup de l’appréciation du praticien, notamment dans la qualification de certaines cellules cancéreuses », commente Ilana Löwy, historienne de la médecine au Cermes33, anciennement biologiste à l’Institut Pasteur. « Mais, si quantité de chiffres sur des prédispositions génétiques deviennent accessibles à tous, il faudra faire un gros travail de pédagogie pour expliquer ce qu’ils signifient réellement », prévient Hervé Chneiweiss, directeur de recherche au CNRS, directeur de l’unité Plasticité gliale et président du comité d’éthique de l’Inserm.

Enfin, dans quelques années, avec des séquençages encore plus rapides et peu chers, un simple cheveu ramassé sur une épaule révélera tout de l’ADN de son propriétaire. Comment préserver notre intimité génétique des assureurs, employeurs ou banquiers susceptibles d’en faire des motifs de discrimination ? Difficile d’évaluer les futurs bénéfices de la médecine prédictive, mais les questions sociétales qu’elle implique seront à résoudre quoi qu’il advienne.

À lire aussi :
Le dépistage prénatal : jusqu'où aller ?
Les 9 questions clés de la médecine prédictive (partie 1)
Les 9 questions clés de la médecine prédictive (partie 2)
 

Notes
  • 1. Dans l’unité Épidémiologie et analyses en santé publique : risques, maladies chroniques et handicaps (Inserm/Univ. de Toulouse/UPS).
  • 2. Note d’analyse n° 289, octobre 2012, du Centre d’analyse stratégique au service du Premier ministre.
  • 3. Centre de recherche, médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CNRS/Inserm/EHESS/Univ. Paris-Descartes).
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Auteur

Charline Zeitoun

Journaliste scientifique, autrice jeunesse et directrice de collection (une vingtaine de livres publiés chez Fleurus, Mango et Millepages).

Formation initiale : DEA de mécanique des fluides + diplômes en journalisme à Paris 7 et au CFPJ.
Plus récemment : des masterclass et des stages en écriture de scénario.
 

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