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Des vols en ballon pour observer l’Univers

Des vols en ballon pour observer l’Univers

22.05.2017, par
La nacelle scientifique Pilot, avec à son bord un télescope conçu par plusieurs équipes de chercheurs français, a été lancée dans le ciel d’Australie depuis la base d’Alice Springs, le 16 avril 2017.
Plus économique que le satellite, le ballon stratosphérique permet aux chercheurs d’observer le cosmos en embarquant un télescope à 40 000 mètres d’altitude. Ainsi de la nacelle scientifique Pilot, qui vient d’achever une mission dans le ciel austral en vue d’étudier les poussières interstellaires de notre galaxie.

Ils ont certains des avantages des satellites, sont bien meilleur marché et permettent de tester dans des conditions quasi réelles les technologies spatiales de demain. Cinquante-six ans après leur premier vol au-dessus de l’Hexagone, en octobre 1961 près de Trappes (Yvelines), les ballons stratosphériques conservent toute leur place dans la boîte à outils des scientifiques, et notamment au sein de la recherche française, l’une des plus actives au monde sur le sujet. La seule année 2017 est ainsi le cadre de trois campagnes à forte participation française en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis.
 

Des conditions proches du vide spatial

C’est que « plusieurs disciplines pourraient difficilement se passer de cette méthode simple pour positionner momentanément des instruments à des altitudes allant de vingt à quarante kilomètres, inatteignables par des avions », explique Martin Giard, délégué aux affaires spatiales à l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS.
 

Les télescopes au sol ne peuvent sonder le ciel sur certaines longueurs d’onde.

Sans ballons, les spécialistes en aérologie seraient dans l’incapacité de mesurer in situ les divers phénomènes stratosphériques liés à la pollution, au climat, à la météo... Et les astrophysiciens perdraient l’accès à un milieu propice à l’observation du cosmos dans des conditions proches de celles du vide spatial. En effet, l’atmosphère terrestre bloque une partie du rayonnement des astres. Conséquence : les télescopes au sol ne peuvent sonder le ciel sur certaines longueurs d’onde.

En plaçant les détecteurs en hauteur, dans un environnement raréfié en air, les scientifiques se dotent d’un moyen précieux pour réaliser des images dans ces parties manquantes du spectre lumineux. Un lâcher de ballon étant bien plus économique et facile à mettre en œuvre que le lancement d’un satellite, et les instruments qu’il transporte dans sa nacelle étant souvent récupérables, le procédé peut aussi être employé pour réaliser des essais « grandeur nature » de dispositifs destinés à être, plus tard, placés en orbite. Une mission spatiale offrant, quant à elle, des prises de données sur des temps plus longs.

Étudier les poussières interstellaires

Faisant suite à un premier vol réalisé en septembre 2015 au Canada, la campagne Pilot, qui s’est achevée le 17 avril dernier sur l’aéroport d’Alice Springs, en plein centre de l’Australie, illustre parfaitement ces atouts. Conçue par l’Irap1, l’IAS2, le CEA3 et le Cnes4, l’expérience consiste en un télescope dont le détecteur est une matrice de 2 048 bolomètresFermerUn bolomètre est un appareil détectant et mesurant un rayonnement par la chaleur que celui-ci induit. refroidis à une température de 300 millièmes de kelvin « Elle a pour but de  mesurer, sur certaines portions du ciel austral, un phénomène dit de “polarisation du rayonnement des poussières du milieu interstellaire” », explique François Boulanger, directeur de recherche à l’IAS d’Orsay. La détection de ce signal, situé dans l’infrarouge lointain, est impossible depuis le sol aux longueurs d’onde où il est le plus fort. Elle constitue pourtant l’un des rares moyens dont disposent les astrophysiciens pour cartographier le champ magnétique dans les nuages interstellaires de la Voie Lactée, et ainsi étudier le rôle qu’il joue dans la formation des étoiles. Elle intéresse aussi les cosmologistes dans la mesure où cette émission lumineuse d’origine galactique se superpose au « rayonnement fossile de l’Univers » (ou fond diffus cosmologique), compliquant la découverte, tant espérée, des fameuses « ondes gravitationnelles primordiales » censées apporter la preuve définitive de la théorie de l’inflation.
 

La nacelle Pilot en préparation à la base de lancement de ballons d’Alice Springs (Australie). Dédié à l’étude de l’origine de l’Univers, cet instrument de pointe vise à mesurer l’émission polarisée des poussières interstellaires.
La nacelle Pilot en préparation à la base de lancement de ballons d’Alice Springs (Australie). Dédié à l’étude de l’origine de l’Univers, cet instrument de pointe vise à mesurer l’émission polarisée des poussières interstellaires.

Un mastodonte de 800 000 m3 gonflé d’hélium

Après un mois et demi de préparation et d’attente d’une inversion des vents stratosphériques,  « Pilot » a pris son  envol, le 16 avril 2017 à 5 h 30 du matin. Emportée par le plus gros des « ballons stratosphériques ouverts » du Cnes – un mastodonte de 800 000 m3 gonflé d’hélium et pouvant atteindre les 150 mètres de diamètre –, la nacelle pointée d’une tonne, avec l’expérience à son bord, s’est rapidement élevée dans les airs pour dépasser les 40 kilomètres d’altitude. L’équipe a alors pu, durant trente-trois heures et quarante minutes, récolter des données avant que l’engin entame une descente et atterrisse en douceur dans une zone désertique inhospitalière située à plusieurs centaines de kilomètres du point de départ. Il y sera récupéré le lendemain par hélicoptère : intact.
 
Pleinement satisfaite de son aventure australienne, l’équipe de Pilot prévoit un troisième vol qui pourrait se dérouler dès 2018 depuis la base de Kiruna, en Suède. Elle a aussi déposé une proposition en vue de développer un nouveau télescope sous ballon baptisé « Bside ». Une appétence pour les aérostats que Jean-Philippe Bernard, responsable scientifique de Pilot et directeur de recherche à l’Irap, justifie par « le coût et la rapidité de développement de ce type d’expériences, dont le principal intérêt est de permettre une exploration du ciel en polarisation à des longueurs d’onde nouvelles, jamais utilisées ».
 

Le ballon stratosphérique bientôt prêt à être lâché pour le deuxième vol de la mission Pilot, le 16 avril dans le désert australien. Après 33 heures et 40 minutes de vol et une altitude record de 40 kilomètres, la nacelle atterrira le lendemain et sera récupérée : intacte.
Le ballon stratosphérique bientôt prêt à être lâché pour le deuxième vol de la mission Pilot, le 16 avril dans le désert australien. Après 33 heures et 40 minutes de vol et une altitude record de 40 kilomètres, la nacelle atterrira le lendemain et sera récupérée : intacte.

Détecter des rayons cosmiques

Les chercheurs de Pilot ne sont pas les seuls à avoir été séduits par ces engins aériens. Quelques jours après le vol australien, le 25 avril 2017 à 10 h 50, un ballon stratosphérique à surpression américain de 532 000 m3 était lâché depuis l’aéroport de Wanaka, en Nouvelle Zélande, emportant pour une durée de cent jours les 2 495 kilogrammes de l’expérience internationale à participation française EUSO-SPB5, dédiée à la détection des rayons cosmiques à ultra-haute énergie.
 

L’équipe espère  pouvoir réaliser, durant les huit heures du vol, des images de plus de 200 galaxies.

Et le mois de septembre 2017 verra se dérouler à Fort Sumner, au Nouveau Mexique (États-Unis), la première campagne « Fireball 2 ». Piloté par le CalTech, la Columbia University et le Laboratoire d’astrophysique de Marseille6 (LAM) et impliquant le Cnes au titre de responsable du développement de la nacelle pointée, le projet est dédié à l’étude des échanges de gaz entre le milieu intergalactique et les galaxies. Les flux entrant dans les galaxies fournissent la matière première nécessaire à la formation des étoiles. Mais, du gaz peut aussi être éjecté par ces objets avant, parfois, d’y revenir.

Essais sur le spectrographe de l’instrument Fireball, au Centre national d’études spatiales, à Toulouse. Fireball est une expérience franco-américaine conçue pour détecter la très faible émission de la matière intergalactique. Le télescope prendra son envol sous un ballon stratosphérique en septembre 2017, depuis le Nouveau-Mexique.
Essais sur le spectrographe de l’instrument Fireball, au Centre national d’études spatiales, à Toulouse. Fireball est une expérience franco-américaine conçue pour détecter la très faible émission de la matière intergalactique. Le télescope prendra son envol sous un ballon stratosphérique en septembre 2017, depuis le Nouveau-Mexique.

L’objectif de « Fireball 2 » est de « caractériser ce cycle et ses liens avec la formation d’étoiles  », précise Bruno Milliard, du LAM. L’observation, dans le domaine de l’ultraviolet, de ces gaz intergalactiques étant impossible à réaliser depuis le sol pour l’essentiel de l’histoire de l’Univers, l’équipe a conçu un « spectrographe multi-objets » capable de fonctionner à partir d’un des ballons stratosphériques d’un million de mètres cubes de la Nasa. Elle espère ainsi pouvoir réaliser, durant les huit heures du vol, des images de plus de 200 galaxies. Là encore grâce aux aérostats. Ces irremplaçables éclaireurs du cosmos placés aux avant-postes de la recherche scientifique…

 
Voir aussi notre diaporama : « L’extraordinaire baptême de l’air d'un télescope »
 

Notes
  • 1. Institut de recherche en astrophysique et planétologie (CNRS-Université de Toulouse III Paul Sabatier).
  • 2. Institut d’astrophysique spatiale (CNRS/Université Paris-Sud 11).
  • 3. Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.
  • 4. Centre national d’études spatiales.
  • 5. Participent au projet, côté français : l’Irap, le laboratoire Astroparticule et cosmologie (CNRS/CEA/Université Paris-Diderot/Observatoire de Paris) et le Laboratoire de l’accélérateur linéaire (CNRS/Université Paris-Sud) ainsi que le Cnes, fournisseur de la nacelle pointée.
  • 6. Unité CNRS/Aix-Marseille Université.

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