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Comment le cadre de vie pèse-t-il sur l'obésité ?

Comment le cadre de vie pèse-t-il sur l'obésité ?

11.01.2021, par
Vue sur le quartier de la Défense (Paris) depuis la ville francilienne de Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines. Les chercheurs ont défini différents contextes pour étudier l'obésité à l’échelle du quartier, en différenciant par exemple pour la région parisienne, Paris intra-muros, la petite couronne et le péri-urbain.
Si la relation entre précarité du lieu de résidence et surpoids était d'ores et déjà connue, une étude apporte de nouveaux éléments à une échelle très fine : celle des quartiers. L'un de ses auteurs, le géographe Thierry Feuillet, nous explique l'intérêt de développer une géographie de l'obésité pour améliorer la santé publique.

L’obésité, qui concerne 17 % des adultes français, est marquée par un fort gradient social. De précédentes enquêtes ont montré que sa prévalence était quatre fois plus élevée dans les ménages aux revenus les plus faibles par rapport à ceux ayant les revenus les plus élevés. Pourquoi l'étude NutriNet-Santé s'est-elle plus particulièrement intéressée au cadre de vie ? 
Thierry Feuillet1. Si le lien entre précarité et obésité est connu, on constate qu'il reste une part d’explication inobservée qui se structure dans l'espace. À partir du moment où l'on observe qu'il y a une plus grande probabilité d'être en surpoids dans certaines zones, on en conclut qu'il existe des effets de lieux qui interagissent avec les facteurs plus globaux. C'est ce qu'on a voulu montrer dans cette étude2 (en anglais, NDLR), réalisée par neuf coauteurs, parmi lesquels des géographes, des épidémiologistes et des médecins.

Plus précisément, nous avons voulu mettre en relation la probabilité d'être une personne en situation de surpoids ou d’obésité avec des facteurs géographiques à une échelle fine. En France, les études s'étaient, jusque-là, cantonnées à des échelles départementales ou régionales3. Nous avons, pour notre part, travaillé au niveau des quartiers, en prenant la plus fine unité administrative de l'Insee : l'Iris (Îlot regroupé pour l'information statistique), qui équivaut à un quartier de 2 000 habitants en moyenne, bien que sa dimension dépende évidemment de la taille et de la densité de l'habitat.
 

Exemples de relations entre la défaveur sociale du quartier de résidence et le risque de surpoids en fonction du contexte urbain.
Exemples de relations entre la défaveur sociale du quartier de résidence et le risque de surpoids en fonction du contexte urbain.

Nous avons parallèlement défini des contextes urbains à partir des principales classifications de l'Insee : l'unité urbaine – liée à la continuité du bâti – et l'aire urbaine – basée sur des critères fonctionnels comme les flux de trajets domicile-travail. Comme aucune des deux ne nous convenait parfaitement, nous les avons combinées pour obtenir notre propre classification incluant dix contextes pertinents dans le cadre de notre étude pour l’ensemble de la France. À titre d’exemple, en région parisienne, nous avons différencié Paris intra-muros, la petite couronne et le péri-urbain. Pour les grandes, moyennes et petites aires urbaines, nous avons ensuite distingué les villes centres, la banlieue et les municipalités composant le périurbain. Et enfin les municipalités rurales.
 
Comment ont été sélectionnés et classifiés les participants à l’étude ?
T. F. La cohorte NutriNet, lancée en mai 2009, implique une large population d'adultes volontaires. Le nombre de 171 000 personnes inscrites a été atteint et il est toujours possible de participer. Sur Internet, les « nutrinautes » remplissent des questionnaires concernant la consommation alimentaire, l'activité physique, l'état de santé, etc. Nous disposons de l’information sur le lieu de résidence des participants, ce qui nous permet de mettre en relation les caractéristiques des environnements de résidence avec les comportements et les états de santé individuels. Nous avons ainsi abouti à un échantillon exploitable d'environ 70 000 « nutrinautes » dans le cadre de cette étude sur la géographie de l’obésité, ce qui est considérable pour une étude française4.
 

Le niveau moyen de personnes en surpoids est plus important dans les municipalités rurales (39 %) qu'à Paris intra-muros (22 %). 

Pour mesurer la précarité, nous avons utilisé l'indice de désavantage social français, le FDep, basé sur quatre variables socio-économiques : le revenu médian des ménages, le pourcentage de personnes diplômées, le pourcentage d'ouvriers et le taux de chômage au niveau de l'Iris. Enfin, nous avons classé les personnes en surpoids et obèses dans une seule catégorie, à savoir un indice de masse corporelle supérieur à 25 kg/m², conformément aux critères de l'Organisation mondiale de la santé.

Vos analyses confirment que la probabilité pour une personne d’être en situation de surpoids est très fortement liée au niveau de précarité de son environnement de résidence. Comment l'expliquez-vous ?  
T. F. Dans les pays occidentalisés, la relation entre le niveau de défaveur sociale du quartier et le risque d'obésité a été démontrée empiriquement à plusieurs reprises, dans différents contextes nationaux. Mais ce lien n'est pas direct. Il dépend de mécanismes complexes. Le niveau de précarité du lieu de vie influence en particulier les caractéristiques de l'environnement bâti : l'offre alimentaire – avec la densité de fast-foods ou de magasins bio par exemple –, les infrastructures qui favorisent la mobilité active, la densité d’aménités urbaines et la pollution sonore qui peuvent induire du stress, etc. Et cet environnement joue à son tour sur les comportements obésogènes à travers une alimentation peu favorable à la santé, le manque d'activité physique ou les troubles du sommeil, qui ont un impact direct sur le surpoids. Par conséquent, un quartier défavorisé a en moyenne plus de risque d’être associé à des comportements défavorables à la santé et donc à l’obésité.

Quels sont les principaux nouveaux enseignements démontrés par l'étude ?
T. F. Nous avons démontré que les niveaux moyens de personnes en surpoids varient en fonction des contextes urbains. Par exemple, on remarque que le niveau moyen de personnes en surpoids est plus important dans les municipalités rurales (39 %) qu'à Paris intra-muros (22 %). Plus on s'éloigne des villes centres, plus le niveau moyen de personnes en surpoids est important. Ce phénomène avait déjà été relevé dans d'autres pays. Notre étude le confirme pour la France.

Devanture d'un restaurant fast-food dans une rue de Paris.
Devanture d'un restaurant fast-food dans une rue de Paris.

Et, autre enseignement plus original : nos conclusions montrent que la relation entre la défaveur sociale du quartier et l'obésité change aussi en fonction des contextes urbains. Cette relation est forte dans les banlieues des grandes villes, moyenne dans les centres-villes et faible ou nulle dans les zones rurales.
 
Avez-vous établi des hypothèses pour expliquer ces différences de relation entre précarité et surpoids ?
T. F. Il faut toujours rester prudent sur les interprétations car on ne peut pas prouver de causalité au travers d'études transversales. Pour expliquer l'hétérogénéité de cette relation, nous avons émis une hypothèse principale suivant le constat que les inégalités sociales varient elles-mêmes selon les contextes urbains : elles sont très fortes en banlieue, moins fortes dans les centres-villes en moyenne plus favorisés, et plus faibles dans les zones périurbaines et rurales, qui sont en moyenne plus défavorisées.
 

(...) la relation entre la défaveur sociale du quartier et l'obésité change aussi en fonction des contextes urbains. Elle est forte dans les banlieues des grandes villes, moyenne dans les centres-villes et faible ou nulle dans les zones rurales.

Comment l'expliquer ? Historiquement, certaines banlieues, notamment dans le nord ou l’est de la première couronne parisienne, sont des territoires en situation de précarité. Mais elles connaissent depuis plusieurs années un processus de transformation socio-spatiale, avec un phénomène de gentrification, notamment en région parisienne : des ménages de plus en plus favorisés s'y implantent en réponse à la pression foncière des centres-villes. Par conséquent, dans un premier temps, les contrastes de richesse augmentent dans ces espaces de banlieues.

De plus, les associations statistiques estimées sont sensibles à l’échelle d’agrégation des données, c’est-à-dire ici à la superficie des Iris. En milieu rural, les unités administratives sont plus larges en raison d'une faible densité de population et d'infrastructures, et le principe même d’un effet de quartier a, dès lors, moins de sens. Mais il faut tout de même en tenir compte dans les modèles statistiques.

Les données obtenues sont-elles susceptibles d'aider les politiques d’aménagement urbain et de santé publique en identifiant des contextes territoriaux particulièrement à risque ?
T. F. Elles permettent en effet d’attirer l'attention des décideurs sur le fait que, dans certains environnements de vie, cette relation entre précarité et surpoids est plus forte que dans d'autres. Par conséquent, cela peut les aider à cibler des politiques de promotion des comportements favorables à la santé et à la prévention de l'obésité plus spécifiquement en direction de ces territoires. On cible généralement les quartiers les plus précaires comme des zones sensibles, mais notre étude montre qu'il ne faut pas non plus oublier les quartiers qui le sont modérément. Dans certains contextes urbains, on a remarqué que la relation était forte jusqu'à un niveau de précarité intermédiaire, et que ce lien s'affaiblit ensuite. Ceci rappelle qu'il faut nuancer les approches, tenir compte du gradient de précarité et du contexte pour élargir les quartiers à prioriser.
 
De futures études pourraient-elles approfondir ces conclusions ?
T. F. Des études plus approfondies pourraient continuer à mêler la géographie sociale à l'obésité, en prenant mieux en compte les caractéristiques urbanistiques et physiques de l’environnement. On a posé l'hypothèse que les quartiers défavorisés étaient ceux qui présentaient des caractéristiques de bâti qui limitent des comportements favorables pour la santé – notamment en termes d’activité physique ou d’alimentation. Mais en affinant ces données géographiques, on pourrait s'apercevoir que ce n'est pas vrai partout, et que cette relation est susceptible de varier localement. On pourrait aussi mener des analyses qualitatives plus poussées dans les espaces périphériques des grandes villes, centrées sur des quartiers précis avec des échantillons de participants spécifiques. Elles apporteraient sûrement d'autres éléments pour interpréter nos résultats. ♦

Pour en savoir plus
etude-nutrinet-sante.fr

Référence
 "Influence of the urban context on the relationship between neighbourhood deprivation and obesity", Feuillet T., Valette J.V., Charreire H. et al., Social Science & Medicine, vol. 265, nov. 2020.

À lire sur le site du CNRS
Et si la géographie permettait de comprendre et de combattre l’obésité ?
 

Notes
  • 1. Maître de conférences en géographie théorique et quantitative, Laboratoire dynamiques sociales et recomposition des espaces (Ladyss - CNRS/Univ. Panthéon Sorbonne/Univ. Vincennes-Saint-Denis/Univ. Paris Nanterre/Univ de Paris).
  • 2. Cette étude menée par neuf auteurs regroupe des chercheurs du Ladyss et de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (ERENCress – Unité Inserm/Inrae/Cnam/Univ. Sorbonne Paris-Nord.)
  • 3. Au début des années 1990, l'étude Globe avait été lancée aux Pays-Bas pour étudier les relations entre obésité et désavantage des quartiers. Le projet européen Spotlight a ensuite été mené dans les années 2010, impliquant cinq agglomérations européennes. Aux États-Unis, plusieurs études similaires ont également été publiées. En France, en revanche, très peu d'analyses de ce type sont représentatives d'un point de vue territorial. Les enquêtes ObÉpi, entre 1997 et 2012, renseignaient régulièrement sur l'obésité, mais la prévalence de cette dernière n'était étudiée que par grande région. Ensuite, dans la cohorte Constances, une étude avait été réalisée en 2016 dans 16 départements. Plus récemment, les études Esteban (2014-2015) et la cohorte Gazel ont apporté de nouvelles informations.
  • 4. L'âge moyen des participants de la cohorte NutriNet-Santé impliqués dans cette étude précise est de 44 ans. 31,8 % de personnes sont en surpoids ou obèses. Concernant leur répartition géographique, 24 % des participants viennent des villes centres des grandes aires urbaines, 22 % des banlieues des grandes villes, 15 % du milieu périurbain, 5 % de Paris centre, 14 % de banlieue parisienne et le reste de municipalités rurales.
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Auteur

Matthieu Stricot

Spécialisé dans les thématiques liées aux religions, à la spiritualité et à l’histoire, Matthieu Sricot collabore à différents médias, dont Le Monde des Religions, La Vie, Sciences Humaines ou encore l’Inrees.

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