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Certains insecticides nuisent aux abeilles

Certains insecticides nuisent aux abeilles

15.03.2013, par
Mis à jour le 15.01.2014
Abeillé équipée d’une puce RFID
C’est notamment en équipant les abeilles de puces RFID que les experts ont pu démontrer la perte d’orientation des abeilles.
Le point sur les avis de l’Efsa, avec le biologiste Gérard Arnold, qui a cosigné le premier rapport approfondi pointant le risque de certains insecticides pour les abeilles.

C’est désormais un fait établi : certains insecticides utilisés pour traiter les semences créent des risques graves pour les abeilles. Trois avis rendus par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) l’ont confirmé en janvier 2013. Pis : les tests d’homologation de ces produits ne sont pas pertinents. Le 29 avril 2013, la Commission européenne a donc décidé de suspendre sur quatre grandes cultures (maïs, colza, tournesol, coton) l'utilisation de trois molécules incriminées dans la surmortalité des abeilles et ce pour deux ans.

Le Gaucho soupçonné d’être nuisibles aux abeilles dès 1995

En 1995, les apiculteurs français constatent une surmortalité des abeilles. Très vite, ils soupçonnent le Gaucho, un nouvel insecticide qui enrobe les graines et diffuse dans la plante tout au long de sa croissance. Alertés par les apiculteurs, des chercheurs du CNRS, de l’Inra et de l’Afssa mesurent des résidus d’imidaclopride (la molécule active du Gaucho) jusque dans le pollen des fleurs et prouvent que cette quantité, même très faible, est toxique pour les abeilles. La firme Bayer, qui vend l’insecticide, le conteste, études d’écotoxicologie à l’appui.

« Comme pour d’autres substances chimiques mises sur le marché, ce sont les industriels qui sont officiellement tenus de réaliser ou de financer ces études », rappelle Gérard Arnold, directeur de recherche au Laboratoire évolution, génomes et spéciation (Legs) et directeur adjoint scientifique de l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Les agences de sécurité comme l’Efsa, elles, se limitent à les évaluer.

En 2003, un comité scientifique et technique créé par le ministère de l’Agriculture, dont fait partie Gérard Arnold, rend un rapport sur l’imidaclopride. Ce rapport conclut que nombre de publications sur le sujet ne sont pas pertinentes et pointe déjà l’existence d’un risque pour les abeilles. En 2011, la Commission européenne mandate l’Efsa pour rédiger une ­opinion scientifique sur les méthodes d’évaluation des risques que les produits phytosanitaires créent pour les abeilles.

L’Efsa confirme la toxicité de trois molécules

Le groupe de travail, auquel participe là encore Gérard Arnold, examine les failles de ces méthodes. Parmi elles : des risques dits sublétaux (désorientation des abeilles, etc.) non évalués jusque-là, mais également des risques d’intoxication chronique (liée à de petites quantités ingurgitées plusieurs fois), alors que les tests d’homologation tenaient compte surtout des intoxications aiguës.

« Les tests ont été mis au point pour des insecticides utilisés en épandage, commente Gérard Arnold. Mais, depuis une vingtaine d’années, ils ne sont plus adaptés aux produits, présents pendant toute la durée de la floraison des plantes. » Sur la base de cette opinion scientifique, l’Efsa réévalue donc la toxicité de trois molécules insecticides (imidaclopride, thiaméthoxame et clothianidine) et conclut dans ses avis publiés en janvier 2013 à un risque aigu pour les abeilles.

Faisant suite à ces conclusions, l’agence a publié, en juillet 2013, de nouvelles méthodes d’évaluation de ces molécules. « Le processus a été long et difficile, souligne Gérard Arnold. Il serait plus efficace d’augmenter le budget alloué à la recherche pour évaluer les effets sur la santé et l’environnement des substances. Aujourd’hui, il est infime par rapport à celui accordé pour produire de l’innovation. »

De son côté, l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) a édité en janvier 2013 un épais rapport sur plusieurs controverses scientifiques récentes, portant notamment sur le Gaucho, les nanotechno­logies et le bisphénol A. Dans ce document, Laura Maxim, chercheuse à l’ISCC, relève des problèmes communs à toutes ces questions. Le lobbying des industriels, bien sûr, et les conflits d’intérêts auxquels peuvent être exposés certains ­experts. Mais surtout : l’évaluation des nouvelles technologies avec des méthodes anciennes.

 

Sur le même sujet : « Quelles politiques pour mieux évaluer les risques liés à l'innovation ? »

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Auteur

Charline Zeitoun

Journaliste scientifique, autrice jeunesse et directrice de collection (une vingtaine de livres publiés chez Fleurus, Mango et Millepages).

Formation initiale : DEA de mécanique des fluides + diplômes en journalisme à Paris 7 et au CFPJ.
Plus récemment : des masterclass et des stages en écriture de scénario.
 

À lire / À voir

Cocktail fatal chez les abeilles, un film réalisé par Christophe Gombert et produit par CNRS Images (2012, 13 min)

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